informations générales
- Du 13/03/2024 à 14:30 au 10/05/2025 à 18:30
Moïse SADOUN - Bipolarités
Vernissage Jeudi 13 mars de 18h à 21h
Exposition jusqu'au 10 mai 2025
Entrée libre
Le premier écart qui s’impose à la vision de cette série c’est l’image inversée qui décale l’idée que l’on se fait d’une image photographique. Une première interrogation, qu’est-ce qui est à voir dans ce travail plastique, couleur, accentuation, opposition ? Les arbres sont les lignes de force, le négatif des branches me rappelle ce qu’il y a de vivant dans l’acte créateur à chercher ce qui circule dans la surface photographique. je suis surpris par le décalage qu’elle implique entre les deux moments de la fabrique d’une image photographique : le négatif et le positif. Mais ce qui interroge d’avantage c’est la question du temps sur laquelle Moïse Sadoun insiste. Pour lui c’est là l’un des points centraux de l’enjeu de son travail, celui de la prise de vue travaillée dans le temps premier de son rendu, celui de l’état naturel prolongé de son appropriation et de son énigme.
A partir de cette réflexion du temps, il est nécessaire de saisir ce qui se passe dans la trace du rendu. Le regard s’attarde et essaye de se frayer un chemin dans les entrelacs des branches d’arbres venant irriguer la surface photographique. Il me semble qu’en photographie on peut voir le temps de plusieurs façons, celui de la prise de vue, cette impression de l’immédiateté, temps souverain lié à l’obturateur de l’objectif, ce n’est pas ce temps qui intéresse Moïse Sadoun, mais plutôt celui qui est contenu dans le rendu, dans la surface. La prise de vue est un acte lié à un processus d’élaboration lent et complexe qu’il exprime de cette manière « marcher dans les arbres c’est regarder, parcourir, réfléchir, projeter, s’interroger sur notre rapport au monde et au lieu, avec la profonde conviction que la relation avec l’arbre est une relation avec nous-mêmes. »
Cette approche de la perception qui dure est la marque de la photographie de Moïse Sadoun, mais là encore il me semble que son approche va plus loin. Il ne reste pas uniquement à la surface des événements, des tensions et des intentions rendues par les arbres pris souvent en contre plongée, il nous livre ce qu’il exprime dans « son désir d’appropriation de la forêt en problématisant l’espace à plusieurs niveaux, en créant une tension entre « le penser à l’endroit et « le penser à l’envers » dans le rapport à la lumière. »
Je m’attarde sur ces photographies d’arbres, elles m’interrogent sur ce croisement entre le négatif et le positif, je reviens dessus, sur cette pensée, comment ma vision se fait et se défait dans ce travail plastique ? Que dire de ce double moment ? si ce n’est cette réflexion de l’artiste « l’espace négatif ne correspond pas au positif, c’est souvent un espace voisin, complice, lesquels génèrent leur enlacement en postproduction. »
Ces photographies sont porteuses d’une lumière qui vient non pas du sujet lui-même mais plutôt d’une lumière dérivée appartenant à l’intérieur des choses. Moïse Sadoun précise « ne pas mettre de frontière entre le visible et l’invisible, accéder à une autre vision du paysage, fruit d’un croisement confus entre le vu et un ressenti onirique et fantastique ».
C’est ainsi que le travail complexe entre les différents éléments qui transforment la surface fait apparaître des figures par croisement entre l’image première des arbres et le travail plastique grâce auquel l’artiste déplace les éléments pour obtenir une nouvelle image composite qui emmagasine l’ensemble de ses intentions visuelles.
Une part d’affrontement dans l’oeuvre photographique de Moïse Sadoun vient éclairer ce qui se passe entre le négatif et le positif de la photographie. Voir plus large voilà ce qu’il en résulte. Une vision d’un intérieur qui se définit dans le négatif et qui rend possible son étonnement, macule de la forme révélant les moindres détails enfouis dans la surface perceptible de notre regard. Une conception qui permet au point de vue, à l’angle d’attaque et à la captation par l’objectif de tourner l’objet de la prise de vue pour devenir moment saillant du perçu.
Nous voilà face à ce qui doit se révéler, se deviner, d’une façon furtive. Les dessous de l’image s’invitent pour mieux dévoiler ses attributs, moments inattendus de la pulsion olfactive. L’inversion joue un rôle primordial dans la photographie de Moïse Sadoun, une bipolarité qui perturbe à la fois l’objet et la vision qu’elle procure. Contraste profond, accentuation des noirs, graphisme tendu, tout ce qui s’inscrit dans la surface photographique devient moment rayonnant du vivant dévoilant le lieu de l’affrontement entre l’homme et son environnement.
Ce qui me paraît important de souligner, c’est cette complexité entre le choix des arbres et leur faitage avec le travail plastique que réalise l’artiste. Cela amène un caractère étrange dans le rendu proposé. Il dérobe et révèle en même temps ou dans le même temps ce qui se cache dans ce processus visuel, les dessous de l’image sont évoqués comme pour signifier leur importance dans un non-voir immédiat. Ils évoquent ce que l’art interroge en permanence, l’Éros, cet enchevêtrement des figures, des lignes, des actions, des lieux dans le temps modulé par ce qui se capte et se décale à partir d’une élaboration plastique.
C’est un autre temps qui inspire Moïse Sadoun, celui du déplacement des lieux pour leur rendre une autre mémoire. En dernier recours je dirai que cette série des arbres éveille le regard et déplace l’esprit vers des horizons inaccessibles. Moïse Sadoun questionne en permanence le geste du photographe d’un côté et l’implication plastique de l’autre. Cette torsade me surprend et suspend ma réflexion sur la photographie.
Patrick Rosiu, artiste 2025
Lieu :
Galerie Depardieu
6 rue du docteur Jacques Guidoni
06000 Nice
Tel 0 966 890 274
Du lundi au samedi de 14h30 à 18h30